« Quand je signe, je suis déjà mort », écrivait, dans Glas, Jacques Derrida. Le philosophe a disparu il y a dix ans, le 8 octobre 2004, à l’âge de 74 ans, mais la mort n’avait pas attendu pour porter son sceau sur l’œuvre et s’en donner comme le principe perturbateur. Car qu’est-ce que sa pensée, la déconstruction, sinon une façon de critiquer les évidences familières de la présence, de mettre en doute les certitudes acquises, pour plonger ailleurs, en un saut bien plus risqué, dans les limbes de la présence-absence, toujours spectrale et ambiguë ?Le dixième anniversaire de la mort du penseur témoigne sans conteste de cette spectralité, à travers une salve de rééditions – le collectif, inédit, Appels de Jacques Derrida (éd. Hermann) faisant exception –, retour de textes déjà parus, fantômes corrigés à moitié déguisés, sur et de Derrida. Dans la première catégorie, le bien nommé Cryptes de Derrida, du philosophe Jacob Rogozinski, s’interroge sur la possibilité, voire la nécessité, de faire le deuil de Derrida, lui-même étant obsédé par cette question : « cette terrible logique du deuil dont je parle tout le temps, qui m’occupe tout le temps ». Une « infidèle fidélité » bien décidée à déconstruire la déconstruction, à en chercher les « cryptes » de sens impensées… Plus pédagogue dans son approche, Marc Goldschmit réédite son très utile précis, Jacques Derrida, une introduction (éd. Pocket), qu’on pourra opportunément croiser avec la lecture de la biographie de Benoît Peeters, Derrida (éd. Flammarion). Le biographe rappelle que Derrida regrettait de ne pas entendre les philosophes parler davantage de leur vie privée, de leurs sentiments…D’outre-tombe, Derrida continue à nous adresser les siens. « Il n’y a pas de destination, ma douce destinée » : la passion hante La Carte postale (éd. Flammarion), roman d’amour épistolaire doublé d’une théorie de l’envoi et de « l’effet postal », à partir de La Lettre volée, de Poe, de Freud et de Lacan. « Ce que je préfère, dans la carte postale, confie Derrida, c’est qu’on ne sait pas ce qui est devant ou ce qui est derrière, ici ou là, près ou loin. » Ce motif si derridien de l’entre-deux, de l’espacement, traverse Le Dernier des Juifs, recueil de deux textes bouleversants dans lesquels Derrida évoque son rapport à la judéité, qui prit d’abord la forme d’un coup porté contre lui : son exclusion de l’école à Alger, à cause des lois antisémites de Vichy – « un déni de droit plutôt que le droit d’appartenir à un groupe légitime ». « J’appartiens à ce qui ne m’appartient pas. »
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jjosos
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